Qui sont ces vulgarisateurs 2.0?

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Leur point commun? Pratiquer la «zététique». Si ce néologisme fut introduit dans la langue française par Henri Broch pour désigner un scepticisme critique face aux phénomènes paranormaux, le sens du terme s’est rapidement élargi pour l’anglober toute modalité d’application de la «méthode scientifique» – comprenant en particulier la pratique du doute raisonnable – à des sujets divers (allant de la vaccination au changement climatique en passant par le créationnisme).
La mission que se donnent les zététiciens du web est double. Dans un esprit constructif, l’enjeu de leur démarche consiste d’abord à éduquer à penser correctement, et cela en introduisant le public aux techniques d’autodéfense intellectuelle inspirée des sciences du langage, de la logique ou encore des mathématiques. Ensuite, de manière critique, il s’agira pour eux agissant en «debunkers», c’est-à-dire, en substance, en pourfendeurs de mythes et autres croyances pseudoscientifiques à la fiabilité douteuse serait plaque ou le vaccin contre l’hépatite B causait la sclérose en plaques).
Aujourd’hui, la zététique en ligne s’est érigée en un véritable marché, se joue dans un microcosme d’acteurs en marge des institutions scientifiques conventionnelles. Si aucune étude n’est à ce jour disponible pour soutenir cette hypothèse, il y a fort à parier que cette vulgarisation 2.0 surpasse la vulgarisation traditionnelle en termes de captation d’audience, cela a plus que qu’elle s’invite facilement – et surtout gratuitement – chez les publics de tous âges (à titre indicatif, la seule chaîne Hygiène mentale capitaliser non moins de 325 000 abonnés).
Face à une telle montée en puissance, la question de la légitimité de l’approche ne peut être esquivée. S’il est vrai que la zététique en ligne n’est pas à l’abri de certaines dérives, à l’heure des infodémies, la démarche doit être louée et soutenue.
Un déficit d’expertise?
La zététique exige une maîtrise des arcanes de la «méthode scientifique». Au-delà du fait qui est douteux qu’une telle méthode pourrait être spécifiquement délimitée, sur l’est en droit de s’interroger sur l’expertise particulière que les zététiciens du web auraient à cet égard. Si l’on se réfère en effet aux travaux de l’épistémologie du témoignage, les indicateurs canoniques d’expertise – la compétence, l’honnêteté et la responsabilité épistémique – tourneraient rapidement au rouge.
En l’absence de formation ou de parcours professionnel orienté méthodologie ou, éventuellement, épistémologie, la plupart des zététiciens, ont ont un bagage scientifique, se révèlent souvent autodidactes. L’épineuse question de leur rémunération respire par ailleurs ce qui s’apparenterait, en science, au conflit d’intérêt, dans la mesure où celle-ci provient principalement des dons de fans envers ceux qui ont une certaine complaisance se retrouve vite encouragée. En outre, aucun contenu zététique publié ne doit faire l’objet d’un processus de validation (qui serait par exemple l’analogue informel du peer-review). À ces indicateurs en faillite s’ajoute celui – pourtant crucial – du rattachement institutionnel (par exemple à une université ou une société savante), pourtant garant de ce scepticisme organisé constitutif de l’éthos scientifique À ce dernier respecté, accordé sa confiance à un expert sans attache institutionnelle, sur le modèle d’un zététicien n’ayant pas de compte à rendre qu’à lui-même, peut se révéler hasardeux
Qu’on ne s’y trompe cependant pas: le type de zététicien est le plus souvent compétent (car bien informé sur les sujets qu’il traite), honnête (car volontairement, en vertu de la nature même de sa pratique, anti- complaisant), responsable épistémiquement (car engagé dans une constante autocritique, parfois ailleurs renforcé par des échanges intracommunautaires en amont et en aval de toute publication) et, enfin, partie prenante d’une communauté veillant à la fiabilité de ses contenus (comme le Café des sciences, association loi 1901 fédéralisant les vulgarisateurs du web et établissant des exigences informelles de qualité). Cela étant, comme dans toute activité peu régulée, les dérives liées à l’absence de garantie d’expertise sont immanquables, et telles que les symptômes immédiats: erreurs factuelles, confusions conceptuelles et autres maladresses contre-productives.
Dissiper le spectre du «retour de flamme»
Plus dangereux sans doute pour l’esprit de toute l’entreprise est le risque d’un effet «retour de flamme», conduisant les personnes adhérentes à une croyance battue en brèche à y adhérer plus fortement encore face aux arguments contraires à la force. À l’aune d’un tel effet, particulièrement vif lorsque les croyances en jeu revêtent une certaine valeur émotionnelle, la zététique dans sa composante «démystification» encouragent le risque de chips plutôt que d’éduquer, ou de polariseur plutôt que ouvert à un dialogue constructif entre partis contrevient. Une telle polarisation stérilisante se retrouve d’ailleurs exacerbée aussitôt que le principe de charité se voit abandonné au profit d’une dialectique arrogante ou condescendante
Cela étant, de récentes études viennent amoindrir la portée d’un tel risque, et pointent même en réalité dans la direction opposée. Ce à quoi la zététique entend spécifiquement s’engager – à savoir présenter les faits contraires à une croyance donnée et mettre à jour les techniques rhétoriques fallacieuses pour la soutenir la problématique spécifique de la vaccination-hésitation, il a été dit que les approches «top-down» ou coercitives s’avèrent faiblement impactantes, alors même que se révélent prometteurs les nouveaux modes de communication allant au-delà de la transmission simple informations, et ce au profit de l’établissement d’une relation de confiance et de proximité.
De l’importance sociétale de la zététique en ligne
Aussi longtemps que subsistera l’image pernicieuse d’une vulgarisation vulgaire, exhortant les scientifiques à déserter la place de marché socratique pour se murer dans le monde compétitif de leurs laboratoires, les zététiciens du web aura le mérite de participer à cette entreprise parfois ingrate qui consiste à s’exposer à la vindicte dans le but de mettre publiquement le nez des charlatans dans les insuffisances de leurs discours. À cet égard, ils connaissent un élément à chérir dans cette stratégie plus grand qu’il incombe aux institutions de la science d’ériger contre la recrudescence des «fausses nouvelles».
Le récent «cas Raoult» est ici riche d’enseignements. Profitant d’un désalignement certain entre opinion publique et institutions scientifiques, l’infectiologue, à l’origine de maintes controverses, ne manqua pas de capitaliser sur une communication directe et percutante, en marge des canaux traditionnels, pour susciter un engouement mal avisé que les meilleurs billets d’humeur d’éminences scientifiques n’ont pu réussir à endiguer. À cet égard, en privilégiant un canal similaire et une communication accessible, les «debunkers» du web ont investi un espace médiatique quasiment déserté par l’institution scientifique pour participer à mettre en lumière, aux yeux d’un public très large, les potentielles limites méthodologiques de la démarche entourant le truculent médecin marseillais
En parallèle à d’autres approches novatrices de la vulgarisation – elles sont «confinées», articulées à la science-fiction, l’art, l’épistémologie ou même les jeux vidéo -, la vulgarisation 2.0 offerte par la zététique en ligne participe d’un mouvement de rapprochement entre science et grand public que les institutions de la science ne peuvent aujourd’hui ignorer.